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Chasser le cerf, c’est apprendre à tuer
La chasse n’est pas, comme on pourrait le croire, une pratique ayant pour seul but de se nourrir. Elle est un rituel. Depuis l’Antiquité, apprendre à chasser, c’est apprendre à faire la guerre. Traquer, affronter et mettre à mort l’animal est un entraînement. Parce qu’ils luttaient jusqu’à la mort en usant de leur force, l’ours ou le sanglier étaient perçus comme courageux. Le Moyen Âge effectue une bascule : le cerf, alors méprisé en raison de son comportement fuyant, est redécouvert. Il devient un animal chargé de symbolique religieuse (le mythe de saint Hubert, patron des chasseurs) et ses capacités naturelles à semer son prédateur sont appréciées. D’animal peureux, il est considéré comme intelligent. Depuis, le cerf est devenu l’animal associé à la chasse.
Ce statut perdure jusqu’à nos jours et c’est assez naturellement que le cerf intègre le motif de la chasse dans le jeu vidéo, d’autant plus naturellement que la maîtrise d’un jeu passe, tout comme la chasse, par une phase d’apprentissage. Ce sont ce que l’on appelle les tutoriels, ces niveaux ou ces parties dans lesquels le joueur apprend à manier son avatar et intègre les règles du jeu. Ainsi, la phase de chasse permet de répéter un geste ou de façon plus symbolique, transmettre un enseignement.
Seulement voilà, dans le jeu vidéo contemporain, ces scènes de chasse sont connotées. Elles mettent en scène des femmes (et aussi des enfants, nous le verrons un peu plus loin) là où l’homme, lui, semble exempté. On pense à Nathan Drake dans Uncharted (2007), pour qui le maniement du pistolet semble aller de soi. Ce qui a valu au jeu des critiques, d’ailleurs, notamment celle de dissonance ludo-narrative : le personnage, cool et poseur, ne se départit jamais de son humour bien que les phases de jeu imposent des scènes de combat où des centaines d’ennemis sont abattus. Pour lui, pas besoin d’apprentissage de la mort. Tuer est une qualité qu’il porte en lui avec un naturel désarmant, sans conséquence pour sa psyché.
Aussi cool que peut paraître Nathan Drake, s’exprime en réalité une vision essentialisée des hommes et des femmes. L’homme est un chasseur, un guerrier, un tueur. Celui qui prend la vie. De l’autre, il y a, sous forme de pensée dichotomisante, la femme. Chargée de donner la vie, d’éduquer, de prendre soin (les femmes sont surreprésentées dans les métiers du care), la femme qui chasse est une femme contre-nature. Pour que la femme puisse endosser son rôle de chasseuse, c’est à dire de tueuse, il lui faut, contrairement à l’homme, un apprentissage en forme de bizutage. Comme pour se défaire de sa nature, ou, plus exactement, revendiquer une égalité : le droit de tuer comme un homme.
Dans les exemples qui vont suivre, la femme chasseresse est toujours représentée avec un arc. Cette représentation résonne avec l’image de la guerrière amazone, d’une Diane, qui, sous l’effet du féminisme des années 70, a produit un contre-modèle dans la pop-culture, en remplacement des sempiternelles femmes en détresse, femmes-enfant et femmes fatales. Pourtant, dans les exemples qui vont suivre, cet empowerment n’est qu’une façade. La femme – ou l’enfant – doit soit se renier, soit recevoir l’enseignement d’un homme.
Se métamorphoser
L’un des premiers jeux récents à présenter une scène iconique de chasse est Tomb Raider, le reboot de la série en 2013. Nous redécouvrons Lara Croft. Elle n’est plus la femme fatale aux proportions grotesques munies de ses deux célèbres pistolets en guise de phallus double, mais une jeune étudiante en archéologie échouée sur une île de l’océan Pacifique, près du Japon. On l’imagine citadine, intellectuelle. Dans cette nature hostile, Lara Croft va effectuer une initiation censée forger son mythe : passer de proie fragile à prédatrice impitoyable. Si le jeu donne pour prétexte à la scène de chasse la quête de nourriture, il s’agit bien pour Lara Croft de se confronter pour la première fois à la mort. Cette progression a lieu en plusieurs étapes. Elle dépouille d’abord un cadavre humain de son arc (qui ne manquera pas de tomber sur elle en un corps à corps morbide), puis part en chasse. En une ou plusieurs flèches décochées, le cerf tombe. S’en suit alors une courte scène où, après l’agonie de l’animal, Lara Croft décide de lui ouvrir les viscères non sans exprimer du dégoût. Nous ne la verrons pas manger la viande, mais gagner des points d’expérience. Le début d’un processus lié à la mécanique de jeu : plus l’aventurière gagne de l’expérience, plus elle remonte les maillons de la chaîne alimentaire en débloquant des compétences qui se répartissent en trois domaines éloquents : survivante, castagneur, chasseur. On notera que dans la version française, seul le mot utilisé pour la compétence survivante est féminisée. Dans un dernier duel au sommet de la montagne, Lara Croft naît : elle devient la redoutable prédatrice sans peur que l’on connait. Un parcours initiatique qui se complaît dans le plaisir voyeur et sadique de voir cette femme souffrir, où chaque épreuve semble a priori trop dure pour elle. Le prix à payer pour devenir l’égal d’un homme.
La même année, sort The Last of Us. Le joueur incarne Joel dans un monde post-apocalyptique. Il fait la connaisance d’Ellie, une adolescente qui lui rappelle sa fille morte quelques années auparavant dans de terribles circonstances. Pendant toute une partie de l’aventure, il développe une relation contrariée, entre désir de la protéger et refus de la prendre pour fille de substitution. À un moment de l’aventure, la relation s’inverse. Joel est blessé. Diminué, la survie incombe à Ellie. Pour la première fois, le joueur peut la contrôler manette en mains. Apprenante en matière de survie, c’est par une scène de chasse hivernale que commence son aventure. Sur le manteau blanc, un innocent lapin au pelage pâle sort de son terrier. Une flèche le transperce soudain, souillant la scène de rouge. Quelques instants plus tard, le lapin est saisi, la flèche retirée sans hésitation. Le visage d’Ellie apparaît. Le regard de la jeune fille se déporte de ce petit gibier vers un animal plus grand qui circule discrètement parmi les arbres : le cerf. L’approche doit être furtive pour essayer de l’atteindre. Le jeu met bien en scène la capacité de l’animal à fuir rapidement, très sensible à son environnement. Touché une première fois, le cerf tente de semer la chasseuse. En suivant les traces rouges laissées par la bête, en écho à celle laissée par le lapin, Ellie traque le cerf. Quand elle retrouve la bête morte un peu plus loin, la jeune fille, comme le cerf avant elle, entend un bruit qui l’alerte. Elle débusque deux hommes. Si elle était jusque-là la prédatrice, le rapport de force n’est plus le même. Amadouée par des promesses d’aide, elle ne sait pas qu’en sympathisant – non sans crainte – avec celui qui semble être le chef, elle tombe dans un piège. C’est elle, maintenant, la proie.
C’est tout le postulat de The Last of Us, où l’autre est un ennemi. C’est ce que lui apprend symboliquement cette scène de chasse. Un rapport de force où soit on tue ou soit on est tué. David, l’homme qui tente de duper Ellie, va la mettre en cage. Il cherche à l’apprivoiser. Dans une scène sordide où l’on voit un homme couper en tranches un cadavre, on apprend, entre les lignes d’un dialogue entre David et l’adolescente, qu’il voit en elle une potentielle reproductrice du clan. Entre cannibalisme et pédocriminalité, toute l’immoralité de David est exposée. Ellie résiste obstinément et refuse d’être la proie, en brisant le doigt de l’homme quand il tente de lui tenir la main. Elle finit par s’échapper en mettant le feu à l’endroit, un feu purificateur. Dans un ultime combat contre David, où il semble être en position de la violer, Ellie finit par le tuer avec une machette. Bouleversée, elle ne cessera de lacérer son agresseur avant que Joel, requinqué dans l’entrefait, n’intervienne et la console. À ce moment, Ellie est devenue la prédatrice. Par ce rite, elle devient une adulte.
Hello world!
Written by Alexis Bross
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